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La cité des splendeurs

 

 

Ils furent de retour sur la route principale avant l’aube, filant vers l’ouest, en direction de la côte et de la ville d’Eauprofonde. La visite à Malchor effectuée et l’affaire Agatha réglée, Drizzt et Wulfgar ramenèrent leurs pensées sur la route qui s’ouvrait devant eux et se rappelèrent le danger que leur ami halfelin courait s’ils ne parvenaient pas à le secourir. Aidées par les fers enchantés de Malchor, leurs montures progressaient à une allure stupéfiante, si bien que le paysage alentour leur apparaissait flou.

Ils ne firent pas de pause quand l’aurore les rattrapa, pas plus qu’ils ne s’arrêtèrent pour manger quand le soleil fut au zénith.

— Nous nous reposerons tout notre saoul quand nous aurons embarqué sur un navire en route vers le sud, avait dit Drizzt à Wulfgar.

Le barbare, déterminé à sauver Régis, n’avait pas besoin d’encouragement.

L’obscurité de la nuit survint de nouveau, tandis que le martèlement des sabots se poursuivait sans discontinuer. Puis, alors que le second matin se dessinait derrière eux, une brise salée emplit l’air environnant et les tours d’Eauprofonde, la cité des Splendeurs, apparurent à l’horizon ouest. Les deux cavaliers firent une halte au sommet de l’escarpement qui formait la frontière est de cette fabuleuse ville. Si Wulfgar avait été stupéfait, un peu plus tôt cette année, lorsqu’il avait pour la première fois posé les yeux sur Luskan, sept cent cinquante kilomètres plus haut sur la côte, il resta cette fois sans voix. Eauprofonde, le joyau du Nord, le plus grand port de tous les Royaumes, était largement dix fois plus vaste que Luskan. Même à l’intérieur de sa haute muraille, la cité s’étendait paresseusement et indéfiniment jusqu’à la côte, avec des tours et des flèches qui s’élevaient haut dans la brume marine aussi loin que portait la vue des deux compagnons.

— Combien de personnes vivent là ? balbutia Wulfgar, le souffle coupé.

— Une centaine de tes tribus trouveraient un abri dans cette cité, lui expliqua Drizzt.

L’anxiété de son ami inquiétait quelque peu le drow. Les villes ne faisaient pas partie de son expérience, et lorsqu’il s’était aventuré à Luskan, cela avait presque tourné au désastre. Eauprofonde se dressait désormais devant eux, avec dix fois plus d’habitants, dix fois plus d’intrigues… et dix fois plus d’ennuis en perspective.

Wulfgar eut un léger mouvement de recul mais Drizzt n’avait pas le choix ; il devait faire confiance au jeune guerrier. L’elfe noir était aux prises avec son propre dilemme, un conflit personnel qu’il devait régler dès maintenant. Il sortit avec précaution le masque magique de la poche de sa ceinture.

Le barbare remarqua la détermination qui guidait les mouvements hésitants de l’elfe noir et le considéra avec une pitié sincère. Il ne savait pas s’il était lui-même capable de tant de courage – même avec la vie de Régis suspendue à ses actes.

Drizzt retourna le masque dans ses mains, se demandant jusqu’où allait sa magie. Il sentait qu’il ne s’agissait pas là d’un objet ordinaire ; son pouvoir vibrait sous son toucher sensible. Le priverait-il tout simplement de son apparence ? Ou bien lui prendrait-il jusqu’à son identité ? Il avait entendu parler d’autres objets magiques, supposés bénéfiques, qui ne pouvaient plus être ôtés une fois portés.

— Peut-être t’accepteront-ils tel que tu es ? hasarda Wulfgar, plein d’espoir.

Drizzt sourit et lâcha un soupir, sa décision prise.

— Non, les soldats d’Eauprofonde n’accepteront pas un elfe drow, pas plus qu’un capitaine de vaisseau ne m’autorisera à embarquer vers le sud.

Sans plus attendre, il disposa le masque sur son visage.

Rien ne se produisit durant quelques instants, si bien que Drizzt commença à se demander s’il ne s’était pas inquiété pour rien, si le masque n’était tout simplement pas un faux.

— Rien, gloussa-t-il, mal à l’aise, après avoir encore attendu quelques secondes, un timide soulagement dans la voix. Il ne…

Le drow s’interrompit au beau milieu de sa phrase quand il remarqua l’expression abasourdie de Wulfgar.

Ce dernier fouilla dans son sac et en sortit une tasse en métal brillant.

— Regarde, dit-il en lui tendant ce miroir de fortune.

Drizzt saisit la tasse de ses mains tremblantes, qui tremblèrent encore plus quand il se rendit compte qu’elles n’étaient plus noires, et la leva à hauteur de son visage. Le reflet n’était pas très net, d’autant moins dans la lumière matinale aux yeux nocturnes du drow, mais celui-ci ne put s’y méprendre. Ses traits n’avaient pas changé mais sa peau noire avait désormais pris la teinte dorée d’un elfe de la surface. Ses cheveux voletants, habituellement d’un blanc si pur, étaient d’un blond brillant, comme s’ils avaient capturé les rayons du soleil.

Seuls ses yeux n’avaient pas changé, deux vastes lacs étincelants couleur lavande, dont aucune magie ne pouvait altérer l’éclat. Drizzt fut un peu soulagé de constater que, au moins, son être intérieur semblait intact.

Il ne savait toutefois pas comment réagir devant ce changement considérable. Mal à l’aise, il se tourna vers Wulfgar, en quête d’approbation.

Le visage du barbare était devenu quelque peu revêche.

— De mon point de vue, dit celui-ci en réponse au regard interrogateur de son ami, tu ressembles à n’importe quel magnifique guerrier elfe. Il ne fait aucun doute qu’une ou deux jeunes filles rougiront et tourneront la tête à ton passage.

Drizzt baissa le regard et tenta de dissimuler le malaise que cette opinion avait suscité en lui.

— Mais je n’aime pas ça, poursuivit Wulfgar avec franchise. Pas du tout. (Le drow lui rendit son regard, d’un air gêné, presque penaud, tandis que le barbare continuait, en manifestant cette fois un peu d’inquiétude.) Et j’aime encore moins l’air que tu prends et le malaise qui s’installe dans ton esprit. Je suis un guerrier qui a affronté des géants et des dragons sans éprouver de peur, mais je pâlirais à l’idée de me mesurer à Drizzt Do’Urden. N’oublie pas qui tu es, noble combattant.

Un sourire parvint à se dessiner sur le visage de Drizzt.

— Merci, mon ami, répondit-il. De tous les défis que j’ai relevés, celui-ci est peut-être le plus difficile.

— Je te préfère sans cette chose.

— Moi de même, dit une voix derrière eux.

Ils se retournèrent et découvrirent un homme entre deux âges, grand et bien bâti, qui marchait vers eux. Il semblait plutôt décontracté, portait des habits simples et arborait une barbe noire bien taillée. Ses cheveux étaient également noirs, quoique parsemés de fils argentés.

— Je vous salue, Wulfgar et Drizzt Do’Urden, dit-il en s’inclinant avec grâce. Je suis Khelben, un associé de Malchor. Ce merveilleux Harpell m’a chargé de surveiller votre arrivée.

— Un magicien ? demanda Wulfgar, qui n’avait pas vraiment eu l’intention d’exprimer sa pensée à voix haute.

Khelben haussa les épaules.

— Un forestier, répondit le nouveau venu, également peintre amateur, même si je dois avouer que je ne suis pas très doué dans ce domaine.

Drizzt examina Khelben sans croire à aucun de ses dires. Cet homme était entouré d’une aura particulière et affichait les manières distinguées et la confiance en lui propres à un seigneur. Selon le drow, il était plutôt l’égal de Malchor, pour ne pas dire plus. S’il aimait véritablement peindre, il ne faisait aucun doute qu’il pratiquait cet art aussi bien que n’importe qui au Nord.

— Un guide pour traverser Eauprofonde ? s’enquit Drizzt.

— Un guide pour vous mener à un autre guide, répondit Khelben. Je suis au fait de votre quête et de vos besoins. Embarquer sur un navire n’est pas une chose aisée si tard dans l’année, à moins de savoir à qui s’adresser. Suivez-moi vers la porte sud, où nous trouverons probablement la bonne personne.

Il récupéra sa monture, non loin de là, puis les conduisit vers le sud au petit trot.

Ils descendirent la falaise abrupte, frontière est de la cité qui s’élevait jusqu’à une trentaine de mètres, avant de se trouver face à une autre muraille, à l’endroit où la formation rocheuse rejoignait le niveau de la mer. Khelben tourna à ce moment et délaissa la ville, même si la porte sud était maintenant en vue, et désigna un tertre couvert d’herbe, au sommet duquel s’élevait un unique saule.

Un petit homme bondit de l’arbre lorsqu’ils atteignirent la colline, scrutant nerveusement de tous côtés de ses yeux noirs. D’après ses vêtements, ce n’était pas un mendiant, mais l’inquiétude qu’il manifestait à mesure qu’ils approchaient ne fit que confirmer le doute que nourrissait Drizzt au sujet de Khelben ; celui-ci était bien plus que ce qu’il avait prétendu être.

— Ah ! Orlpar, merci d’être venu, dit Khelben avec simplicité.

Drizzt et Wulfgar échangèrent des sourires entendus ; cet homme n’avait sans doute pas eu le choix.

— Salutations, dit précipitamment Orlpar, qui voulait en finir aussi vite que possible avec cette affaire. L’embarquement est réglé. Avez-vous le paiement ?

— Quand ? demanda Khelben.

— D’ici une dizaine de jours. Le Danseur de la côte appareille.

Khelben remarqua le regard inquiet que s’adressèrent Drizzt et Wulfgar.

— C’est trop long, dit-il au petit homme. Chaque marin du port te doit un service. Mes amis ne peuvent attendre.

— Ces arrangements prennent du temps ! se plaignit Orlpar en élevant la voix.

Soudain, comme s’il venait de se rappeler à qui il s’adressait, il se recroquevilla et baissa les yeux.

— C’est trop long, répéta calmement Khelben.

Orlpar se passa une main sur le visage, cherchant une solution.

— Deudermont, dit-il, en posant un regard plein d’espoir sur Khelben. L’Esprit follet de la mer du capitaine Deudermont appareille la nuit prochaine. Vous ne trouverez pas d’homme plus honnête mais je ne sais pas jusqu’où il s’aventurera dans le sud. Et son prix sera très élevé.

— Ah ! lâcha Khelben en souriant. Ne t’inquiète pas, mon ami, j’ai aujourd’hui des merveilles à te céder.

Orlpar le considéra avec suspicion.

— Vous aviez parlé d’or.

— Mieux que de l’or. Mes amis ont chevauché trois jours durant, depuis Longueselle, et pourtant leurs montures n’ont pas perdu la moindre goutte de sueur.

— Des chevaux ? s’étrangla Orlpar.

— Non, je ne te parle pas des étalons mais de leurs fers. Des fers magiques capables de faire galoper des chevaux aussi vite que le vent !

— Je fais affaire avec des marins ! protesta Orlpar aussi vigoureusement qu’il l’osa. Quel usage ferais-je de fers à cheval ?

— Du calme, du calme, Orlpar, dit Khelben en lui adressant un clin d’œil. Tu te souviens de l’embarras de ton frère ? Tu trouveras bien un moyen de tirer profit de ces fers magiques, j’en suis certain.

Orlpar inspira bruyamment afin de dissiper sa colère. Khelben l’avait visiblement coincé.

— Conduisez ces deux-là aux Bras de la sirène, dit-il. Je verrai ce que je peux faire.

Sur ces mots, il fit demi-tour et descendit la colline en trottinant vers la porte sud.

— Vous l’avez facilement manœuvré, nota Drizzt.

— J’avais des atouts de mon côté, expliqua Khelben. Le frère d’Orlpar est à la tête d’une noble maison en ville. Ce qui s’avère parfois un avantage considérable pour Orlpar peut également devenir un obstacle ; il doit en effet prendre garde à ne pas embarrasser publiquement sa famille.

» Mais assez parlé affaires. Vous pouvez me laisser vos chevaux. Partez, maintenant, et rendez-vous à la porte sud. Les gardes postés là-bas vous indiqueront la rue du Port. De là, vous n’aurez aucune difficulté à trouver les Bras de la sirène.

— Vous ne nous accompagnez pas ? demanda Wulfgar en se laissant glisser de sa selle.

— D’autres affaires m’attendent, expliqua Khelben. Il vaut mieux que vous y alliez seuls. Vous ne risquez rien ; Orlpar n’oserait pas me désobéir et je tiens le capitaine Deudermont pour un marin honnête. Les étrangers ne sont pas rares à Eauprofonde, en particulier dans le quartier du port.

— Alors que des étrangers se promenant aux côtés de Khelben, le peintre, risqueraient d’attirer l’attention, conclut Drizzt avec une pointe d’humour sarcastique.

Khelben sourit mais ne répondit rien.

— Ces chevaux retourneront-ils à Longueselle ? demanda le drow après avoir mis pied à terre.

— Bien entendu.

— Veuillez accepter nos remerciements, Khelben. Vous nous avez considérablement aidés. (Drizzt resta songeur un moment, le regard rivé sur sa monture.) Vous savez certainement que l’enchantement de Malchor sur ces fers n’est pas éternel. Orlpar ne profitera pas de l’accord qu’il vient de conclure.

— Ce ne sera que justice, s’amusa Khelben. Il en a berné plus d’un, croyez-moi. Peut-être cette expérience lui enseignera-t-elle l’humilité et lui fera-t-elle prendre conscience de ses mauvaises habitudes.

— Peut-être, convint Drizzt.

Après s’être inclinés, lui et Wulfgar redescendirent la colline.

— Soyez sur vos gardes mais conservez votre calme, leur lança Khelben. Les voyous ne sont pas rares sur le port mais la police est omniprésente. Plus d’un étranger passe sa première nuit en ville dans les donjons de la cité !

En observant les deux hommes quitter le tertre, il se rappela, tout comme l’avait fait Malchor, ces jours anciens où il parcourait les routes en quête d’aventures.

— Il tenait complètement cet homme en son pouvoir, fit remarquer Wulfgar quand les deux compagnons se furent suffisamment éloignés pour que Khelben ne les entende plus. Un simple peintre… ?

— Plus probablement un magicien, répondit Drizzt. Un puissant magicien. Nous devons encore remercier Malchor, dont l’influence nous facilite la tâche. Note bien que le premier peintre venu ne peut pas dompter ainsi un individu comme Orlpar.

Wulfgar se retourna vers le tertre mais Khelben et les chevaux avaient disparu. Malgré la faible compréhension qu’il avait de la sorcellerie, il devina que seule la magie avait pu faire partir cet homme et les trois bêtes si vite de cet endroit. Il sourit et secoua la tête, puis s’émerveilla une fois de plus des personnages excentriques que ce vaste monde ne cessait de lui dévoiler.

 

***

 

En suivant la direction indiquée par les gardes de la porte sud, Drizzt et Wulfgar se retrouvèrent bientôt à arpenter la rue du Port, une longue artère qui s’étendait sur toute la longueur du port d’Eauprofonde, du côté sud de la cité. Des odeurs de poisson et d’air salé s’infiltraient dans leurs narines et des mouettes criaient au-dessus de leurs têtes, tandis que des marins et des mercenaires provenant de chaque coin des Royaumes allaient et venaient, certains très affairés, mais la plupart profitant de leur dernier repos à terre avant leur long voyage vers le sud.

La rue du Port était parfaitement équipée pour de telles réjouissances ; chaque intersection disposait de sa taverne. Cependant, contrairement au quartier du port de Luskan, que les seigneurs de la ville avaient depuis longtemps abandonné à la populace, la rue du Port d’Eauprofonde n’était pas un lieu malsain. Eauprofonde était une cité de lois et les membres de la garde, les célèbres soldats du guet de la ville, semblaient partout présents.

Les intrépides aventuriers pullulaient ici, des guerriers endurcis par les combats et qui portaient leurs armes en toute décontraction. Néanmoins, Drizzt et Wulfgar remarquèrent que de nombreux regards étaient tournés vers eux, et que la quasi-totalité des têtes se tournaient à leur passage. Drizzt palpa son masque de la main, craignant dans un premier temps qu’il ait glissé d’une façon ou d’une autre et révélé sa nature à ces badauds stupéfaits. Une rapide vérification dissipa ses inquiétudes, ses mains laissaient toujours voir ce lustre doré propre aux elfes de la surface.

Il manqua d’éclater de rire quand il se tourna vers son ami pour lui demander si son masque dissimulait toujours ses traits ; il venait en effet de se rendre compte qu’il n’était pas l’objet de ces regards ahuris. Il avait été si proche du jeune barbare ces dernières années qu’il s’était habitué à sa carrure. Mesurant presque deux mètres dix et doté de muscles puissants qui s’épaississaient d’année en année, Wulfgar déambulait dans la rue du Port avec une mine tranquille pleine d’assurance.

Crocs de l’égide claquait sans façon sur son épaule. Même parmi les plus grands guerriers des Royaumes, ce jeune homme ne pouvait que se faire remarquer.

— Pour une fois, on dirait que je ne suis pas l’objet de tous les regards, dit Drizzt.

— Enlève ton masque, drow, répondit Wulfgar, dont le visage était devenu écarlate. Et détourne leurs yeux de moi !

— Je le ferais s’il n’y avait pas Régis, rappela l’elfe avec un clin d’œil.

Les Bras de la sirène n’étaient pas différents de la multitude de tavernes qui parsemaient ce quartier d’Eauprofonde. Des cris et des acclamations jaillissaient du lieu, portés par un air lourdement chargé de relents de bière bon marché et de vin. Un groupe de voyous, qui se poussaient entre eux et insultaient ceux qu’ils appelaient leurs amis, s’était rassemblé près de la porte.

Drizzt lança un regard inquiet à Wulfgar. Lors de la seule autre occasion où le jeune homme s’était rendu dans un tel endroit – au Coutelas, à Luskan – il avait ravagé la taverne, et amoché la plupart de ses clients, au cours d’une rixe. Fidèle à ses idéaux d’honneur et de courage, Wulfgar n’était pas à sa place dans le monde sans scrupules des tavernes de la cité.

Orlpar sortit à cet instant des Bras de la sirène et se faufila adroitement à travers le groupe agité.

— Deudermont est au bar, chuchota-t-il entre ses lèvres en passant devant Drizzt et Wulfgar sans donner l’impression de les avoir remarqués. Grand, veste bleue et barbe jaune.

Wulfgar s’apprêtait à répondre mais Drizzt lui enjoignit de ne pas s’arrêter, ayant compris que Orlpar voulait rester discret.

Les gens s’écartèrent et les laissèrent passer, tous les regards braqués sur le barbare.

— Bungo va l’avoir, chuchota l’un d’eux quand ils furent entrés dans le bar.

— Ça vaudra quand même le coup d’œil, gloussa un autre.

Les oreilles affûtées du drow interceptèrent l’échange. Il considéra de nouveau son ami imposant et songea que la taille de celui-ci semblait systématiquement le désigner pour être la proie de tels ennuis.

L’intérieur des Bras de la sirène n’offrit aucune surprise. L’air y était chargé de senteurs de fumées d’herbes exotiques mêlées à la puanteur de la bière éventée. Quelques marins ivres gisaient, affalés sur les tables ou contre les murs, tandis que d’autres trébuchaient, renversant leurs consommations, souvent sur des clients plus sobres, qui répliquaient en les projetant à terre. Wulfgar se demanda combien parmi ces hommes avaient manqué le départ de leur navire. Resteraient-ils à tituber ici jusqu’à ce qu’ils aient dépensé leur dernier sou, et se fassent jeter dehors où il leur faudrait affronter l’hiver démunis et sans abri ?

— C’est la deuxième fois que je contemple les entrailles d’une ville, murmura-t-il à Drizzt. Ça me rappelle chaque fois les joies de la route en plein air !

— Les gobelins et les dragons ? rétorqua l’elfe en plaisantant, alors qu’il guidait le barbare vers une table libre située près du bar.

— Je les préfère de beaucoup à tout cela, persista le colosse.

Une serveuse s’approcha avant même qu’ils soient assis.

— Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? demanda-t-elle de façon automatique, ayant depuis longtemps cessé de manifester le moindre intérêt à ses clients.

— De l’eau, répondit Wulfgar d’un ton bourru.

— Et du vin, se hâta d’ajouter Drizzt, en tendant une pièce d’or à la jeune femme afin de dissiper son air soudain renfrogné.

— Il doit s’agir de Deudermont, dit Wulfgar, évitant ainsi tout reproche concernant son attitude vis-à-vis de l’employée.

Et il désigna un homme de haute stature accoudé au bar.

Drizzt se leva aussitôt, estimant plus prudent d’en finir promptement avec leur affaire pour pouvoir quitter la taverne aussi vite que possible.

— Garde la table, intima-t-il à son ami.

Le capitaine Deudermont ne représentait pas le client typique des Bras de la sirène. Grand et se tenant droit, cet homme raffiné était habitué à dîner en compagnie de seigneurs et de dames. Cependant, à l’instar de tous les commandants de vaisseaux faisant escale au port d’Eauprofonde, en particulier le jour du départ, Deudermont passait la plupart de son temps à terre à garder un œil vigilant sur son précieux équipage afin d’éviter que ses membres se retrouvent dans les prisons surpeuplées de la cité.

Drizzt se glissa à côté du capitaine en ignorant le regard curieux du barman.

— Nous avons un ami en commun, dit-il à mi-voix au marin.

— Je suis loin de compter Orlpar parmi mes amis, répliqua le capitaine avec nonchalance. Mais je vois qu’il n’a pas exagéré à propos de la taille et la force de ton jeune compagnon.

Deudermont n’était pas le seul à avoir remarqué Wulfgar. De même que chaque taverne de ce quartier d’Eauprofonde, comme la plupart des bars des Royaumes, les Bras de la sirène avaient un champion. En retrait du bar, un rustaud massif, nommé Bungo, n’avait pas quitté Wulfgar des yeux dès l’instant où le jeune barbare avait franchi la porte de l’établissement. Bungo n’aimait pas les airs de ce type, mais alors pas du tout. Plus encore que ses bras musclés, la démarche élégante de Wulfgar et l’aisance avec laquelle il portait son énorme marteau de guerre trahissaient une expérience considérablement plus importante que le laissait supposer son âge.

Les partisans de Bungo s’agglutinèrent autour de lui en prévision de la bagarre à venir, incitant leur champion, de leurs sourires tordus et de leurs haleines empestant la bière, à passer à l’action. D’ordinaire sûr de lui, Bungo dut faire un effort pour contrôler son anxiété. Il avait encaissé de nombreux coups durant son règne de sept ans dans cette taverne et sa carcasse était désormais moins droite, tandis que ses os avaient été brisés et ses muscles déchirés par dizaines. En considérant l’impressionnant spectacle qu’offrait Wulfgar, Bungo se demanda si, même au temps de sa jeunesse, il serait venu à bout de cet adversaire.

Les habitués des Bras de la sirène le dévisageaient. Cet endroit était leur territoire et il était leur champion. Ils lui fournissaient gratuitement à manger et à boire ; il ne pouvait pas les laisser tomber.

Il avala sa chope pleine d’un seul coup et s’éloigna du bar. Puis il poussa un dernier grognement afin de rassurer ses partisans, et, tout en écartant brutalement ceux qui se trouvaient sur son chemin, se dirigea vers Wulfgar.

Ce dernier avait repéré le groupe avant même qu’il se mette en mouvement. Cette scène était trop familière pour le jeune barbare et il s’attendait, une fois encore, à être remarqué en raison de sa taille, comme cela s’était produit au Coutelas de Luskan.

— Qu’est-ce qu’tu cherches ici ? siffla Bungo, dressé de façon imposante, les mains sur les hanches, à l’adresse de l’homme assis. Les autres voyous se déployèrent autour de la table et encerclèrent totalement Wulfgar.

Les instincts du barbare lui soufflaient de se lever et de corriger cet énergumène prétentieux là où il se tenait. Il ne craignait aucunement les huit amis de Bungo, qu’il tenait pour des lâches qui avaient besoin d’un chef pour les mener. Si un seul coup abattait le champion, et Wulfgar s’en savait capable, les autres y regarderaient à deux fois avant de s’attaquer à un adversaire de sa trempe, une hésitation qui leur coûterait cher.

Cependant, au cours des derniers mois, le barbare avait appris à modérer sa colère, tout comme il avait réfléchi à une définition plus large de l’honneur. Il haussa les épaules, sans faire le moindre geste susceptible d’être interprété comme une menace.

— Un endroit où m’asseoir et boire, répondit-il calmement. Qui es-tu ?

— M’appelle Bungo, déclara l’homme en postillonnant à chaque mot.

Il bomba fièrement le torse, comme si son nom devait signifier quelque chose pour cet étranger.

Celui-ci dut, une fois encore, lutter contre ses instincts de combattant, tandis qu’il essuyait les postillons reçus en plein visage. Il se rappela que lui et Drizzt étaient ici pour des affaires autrement plus importantes.

— Qui t’a autorisé à venir dans mon bar ? gronda Bungo, qui pensait – ou espérait… – avoir mis Wulfgar sur la défensive.

Il avisa ses amis, qui se penchèrent plus près du barbare afin de renforcer l’intimidation.

Drizzt comprendrait certainement la nécessité de remettre ce type à sa place, songea Wulfgar, les poings serrés le long du corps. Un seul coup…, marmonna-t-il en silence en observant cette minable bande de voyous, dont la place était plutôt aux quatre coins de la pièce, étalés au sol, inconscients.

Il invoqua l’image de Régis pour calmer sa rage croissante mais ne put ignorer le fait que ses mains agrippaient maintenant le bord de la table avec tant de force que ses articulations en étaient blanchies.

 

***

 

— Les arrangements ? demanda Drizzt.

— Réglés, répondit Deudermont. J’ai de la place pour vous deux sur l’Esprit follet de la mer et c’est avec plaisir que j’accueille des bras – et des lames – supplémentaires, en particulier lorsqu’il s’agit d’aventuriers expérimentés. Mais il est possible que vous manquiez le départ.

Il agrippa l’épaule du drow et le fit se retourner en direction de l’agitation qui couvait à la table de Wulfgar.

— Le champion de la taverne et sa cour, expliqua Deudermont. Je parierais tout de même sur ton ami.

— De l’argent bien placé, répondit Drizzt. Mais nous n’avons pas le temps…

Deudermont lui désigna également quatre hommes, calmement assis dans un coin sombre de la taverne, qui observaient le tumulte grandissant avec intérêt.

— La garde, révéla le marin. Un combat coûtera à ton ami une nuit dans les donjons. Je ne pourrai pas l’attendre !

Drizzt fouilla des yeux la taverne, à la recherche d’une issue. Tous les regards semblaient être tournés sur Wulfgar et la bande de voyous, anticipant avec impatience la bagarre. Le drow prit alors conscience qu’il ne ferait qu’envenimer la situation s’il se rendait à cet instant à la table.

 

***

 

Bungo poussa son ventre en avant, à quelques centimètres du visage de Wulfgar, et exhiba une énorme ceinture entaillée d’une centaine de points.

— Un trou pour chaque type que j’ai vaincu, se vanta-t-il. Donne-moi de quoi m’occuper pendant ma nuit en prison. (Il désigna une grande entaille près de la boucle.) J’ai tué celui-là. Bien écrasé sa tête. M’a coûté cinq nuits.

Wulfgar desserra ses doigts de la table, nullement impressionné mais bien conscient des conséquences possibles de ses actes. Il avait un vaisseau à prendre.

— Peut-être est-ce Bungo que je suis venu voir, dit-il en croisant les bras et en s’adossant sur sa chaise.

— Vas-y, alors ! grogna l’un des autres.

— Venu chercher la bagarre ? dit Bungo, l’œil mauvais.

— Non, je ne crois pas, rétorqua le barbare. Un combat ? Non, je ne suis qu’un jeune homme parti à la découverte du vaste monde !

Bungo ne put cacher son trouble. Il se tourna vers ses amis, qui se contentèrent de hausser les épaules.

— Assieds-toi, proposa Wulfgar.

Bungo n’esquissa pas le moindre mouvement. L’homme placé derrière le barbare le frappa durement sur l’épaule avant de lui lancer :

— P’rquoi t’es ici ?

Wulfgar dut retenir sa propre main pour ne pas écraser les doigts crasseux du voyou. Mais il reprit rapidement le contrôle de lui-même et se pencha plus près de l’imposant meneur de bande.

— Pas pour me battre ; pour observer, répondit-il, toujours calme. Peut-être un jour me sentirai-je capable de défier des adversaires tels que Bungo, et alors je reviendrai, car il ne fait pour moi aucun doute que tu seras encore le champion de cette taverne. Mais ce jour n’arrivera pas avant de nombreuses années, j’en ai peur. J’ai encore beaucoup à apprendre.

— Pourquoi t’es venu ici, alors ? demanda Bungo, plus sûr de lui que jamais.

Il s’approcha encore de Wulfgar, menaçant.

— Je suis venu pour apprendre, répondit Wulfgar. Pour apprendre en observant le meilleur combattant d’Eauprofonde. Pour voir à quoi ressemble Bungo et comment il mène ses combats.

Bungo se redressa et considéra ses amis impatients, tellement penchés qu’ils étaient près de s’affaler sur la table. Il exhiba son sourire dépourvu de dents, comme il avait l’habitude de le faire avant de passer à tabac un adversaire, entraînant un surcroît de tension chez ses admirateurs. C’est alors que leur champion les surprit en assenant une claque sur l’épaule de Wulfgar – une claque amicale.

Des grognements fusèrent de toutes parts dans la taverne lorsque Bungo se saisit d’une chaise pour partager une boisson avec l’impressionnant étranger.

— Dégagez ! rugit-il à l’adresse de ses compagnons.

Leurs visages affichèrent toute leur déception et leur désapprobation mais ils n’osèrent pas désobéir. Celui qui se tenait derrière Wulfgar lui donna une nouvelle bourrade pour faire bonne mesure, puis suivit les autres en direction du bar.

 

***

 

— Voilà une sage réaction, remarqua Deudermont.

— De leur part à tous les deux, ajouta Drizzt, désormais détendu contre le bar.

— Avez-vous d’autres affaires à régler en ville ? demanda le capitaine.

L’elfe noir secoua la tête.

— Non. Conduisez-nous au vaisseau. Je crains qu’Eauprofonde n’apporte que des ennuis.

 

***

 

Un million d’étoiles parsemaient le ciel de cette nuit sans nuages. Elles s’étalaient depuis la voûte céleste jusqu’aux lumières lointaines d’Eauprofonde, qui illuminaient l’horizon nord. Wulfgar trouva Drizzt sur le pont, tranquillement assis et se laissant gagner par l’impression de sérénité que la mer procurait.

— J’aimerais bien y retourner, dit le barbare, en suivant le regard de son ami vers la ville qui s’éloignait.

— Pour régler leur compte à un voyou ivre et ses minables acolytes, termina le drow. (Wulfgar éclata de rire puis s’interrompit net quand Drizzt se tourna vers lui.) Dans quelle intention ? Souhaites-tu le remplacer en tant que champion des Bras de la sirène ?

— Ce n’est pas une vie qui me tente, répondit Wulfgar, qui, s’il gloussait encore, semblait moins à l’aise.

— Laisse-la à Bungo, dans ce cas, dit l’elfe, avant de reporter son regard sur les lueurs de la cité.

Le sourire du barbare s’évanouit une fois de plus.

Quelques secondes, peut-être des minutes, s’écoulèrent en silence, seulement rythmées par le clapotis des vagues contre la proue de l’Esprit follet de la mer. Sous l’effet d’une impulsion, Drizzt sortit soudain Scintillante de son fourreau. Le cimeterre ouvragé prit vie dans ses mains et sa lame brilla sous l’éclat des étoiles qui lui avait donné son nom et ses pouvoirs magiques.

— Cette arme te va bien, fit remarquer Wulfgar.

— Une fidèle compagne, reconnut Drizzt.

Il examina les motifs complexes gravés sur la lame recourbée et se souvint d’un autre cimeterre magique qu’il avait autrefois possédé, une épée, trouvée dans la tanière d’un dragon qu’il avait abattu avec Wulfgar. Cette arme avait également été une fidèle compagne. Forgée à base de magie glacée, elle avait été façonnée pour servir de fléau aux créatures de feu, si bien que les flammes ne pouvaient l’atteindre, de même que celui qui la portait. Elle avait bien servi Drizzt et l’avait même sauvé d’une mort douloureuse promise par le feu d’un démon.

Le drow jeta un coup d’œil à son ami.

— Je songeais à notre premier dragon, expliqua-t-il, en réponse à l’air interrogatif du barbare. Toi et moi, seuls dans cette caverne gelée contre Glacemort et ses semblables, de bien redoutables adversaires.

— Il nous aurait eus sans la présence de cet énorme bloc de glace suspendu au-dessus de lui ; un véritable coup de chance.

— Un coup de chance ? répéta Drizzt. Peut-être… Je pense tout de même que la plupart du temps, la chance n’est rien d’autre que l’avantage qu’un véritable guerrier tire en agissant correctement.

Wulfgar accepta le compliment sans sourciller ; c’était lui qui avait fait chuter le bloc pointu, tuant ainsi le dragon.

— Quel dommage que le cimeterre dérobé dans la tanière de Glacemort ne soit plus en ma possession pour servir de compagnon à Scintillante, lâcha Drizzt.

— C’est vrai, convint le barbare, un sourire aux lèvres tandis qu’il se remémorait les aventures passées vécues aux côtés du drow. Hélas, cette arme a disparu avec Bruenor dans le Défilé de Garumn…

Drizzt s’immobilisa et cligna des yeux, comme s’il venait de recevoir de l’eau froide sur le visage. Dans son esprit venait soudain de surgir une vision, dont les implications étaient à la fois encourageantes et terrifiantes : l’image de Bruenor Marteaudeguerre chutant lentement dans les profondeurs du défilé sur le dos d’un dragon en flammes…

Un dragon en flammes !

Pour la première fois, Wulfgar nota un tremblement dans la voix habituellement posée de son ami quand celui-ci haleta :

— Bruenor avait mon épée ?

Le Joyau du Halfelin
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